Une nuit au port par gros temps

Le port a pris des allures de sanatorium pour petits et grands bateaux, rangés chacun à son ponton, placés sous camisole. Comme ils ont perdu de leur superbe, ces destriers livrés à eux-mêmes quand leur capitaine passe l’hiver à terre !

Pourtant toujours habité, Saudade II ne déroge pas moins à ce sentiment d’abandon. Il ronge ses amarres alors que les grains hurlent dans la nuit, enjambent son échine à l’assaut de la presqu’île du Cotentin.

Au début, impossible de dormir. Puis on s’habitue au sommeil haché par le souffle surpuissant d’une rafale, par le grondement des traînées d’air qui ondulent entre les ultra basses et les aigus. Par mille aiguilles de pluie qui tambourinent avec force sur la cabine avant, muée pour quelques heures en une énorme caisse de résonnance. Avec ce cliquetis tout aussi minuscule qu’inquiétant d’une manille qui geint quelque part près du mât. Avec l’encerclement erratique et envahissant du clapotis dont la tessiture fluctue au rythme des marées montantes ou descendantes.

L’univers sonore d’une nuit d’hiver au port s’écoute dans l’auditorium de son propre silence intérieur. On assiste, aux premières loges, au déchaînement des forces de la nature. Le confort -couette et bouillottes bien chaudes, couverture et bonnet en laine- apporte un immense bien-être immédiat. Il reste néanmoins couplé à l’intense perception de notre si grande fragilité humaine. Seuls quelques millimètres de coque nous séparent des éléments débridés. Une protection bien ténue au regard des tumultueuses coulées de vent qui rugissent en léchant les ponts.

La tempête passera au triple galop, sans même savoir ni se soucier de ce qu’on existe. Au matin, le jour glacé apportera son lot de répit et de tranquillité, jusqu’au passage imminent de la dépression suivante, en une seule et même journée.

 

Port de Carteret, décembre 2023.

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