Le voyage immobile

Me voici embarquée dans une expérience sensorielle et psychologique inédite. Tout bouge, mais rien n’avance. Les dépressions, les tempêtes hurlent et s’enchaînent sur un axe Finistère-Manche. Nous voici précisément sur leur passage, Saudade II et moi, encaissant depuis quinze jours le roulis convulsif des eaux d’un port mal abrité, le crissement des amarres qui se tendent aux soubresauts du vent.

Étonnant paradoxe que d’être chahutée dans un mouvement perpétuel et désordonné tout en restant parfaitement à l’arrêt ! Cette étape s’apparente à un jour de pluie sans fin. L’impression d’avoir franchi le portique de sécurité d’un aéroport avec une carte d’embarquement où seule figure la prochaine escale : Lisbonne. Le tableau d’affichage du vol reste irrémédiablement figé sur « Retardé ».

Seule consolation, peut-être : les autres voyageurs sont dans la même situation, et rares sont les plaisanciers qui sortent en mer pour profiter d’un bref répit. Aucun voilier ne semble s’être aventuré à traverser le golfe de Gascogne ces derniers jours.

Je cultive le greek way of life appris par le passé auprès d’un ex-petit ami grec. Sorte de flegme mâtiné d’hédonisme, alchimie créatrice de bien-être dans le creuset des vents défavorables. Un imprévu dans les transports ? Il s’agira de s’installer confortablement au cas que çà dure. Sans s’encombrer d’une impatience inutile, sauf à pouvoir changer le cours des évènements.

Mis en suspens par le gros temps, le voyage de Saudade II se poursuit sur un mode de vie « à la grecque » pour une durée indéterminée.

 

Port de Camaret-sur-Mer, avril 2024.

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