Le grand départ
Ça devait castagner. Pas beaucoup, mais un peu quand même. Le minimum acceptable, le maximum raisonnable. Avec, à la clé, deux routes possibles : passer au nord de Jersey en profitant d’un courant favorable, mais en bataillant contre le vent qui devait lever une mer très dure. Ou bien choisir la facilité en descendant vers le sud au portant pour surfer la houle post-océanique. Histoire de se remettre en jambe après des mois de latence. Tant pis pour le courant dans le pif, largement compensé par une vitesse des plus honnêtes.
En choisissant la deuxième option, j’espérais profiter d’une bascule à hauteur de l’archipel normand des Minquiers, le noroît devant tourner Sud. Ce qui n’est jamais arrivé, réduisant à néant tout espoir de conserver une allure relativement confortable, m’obligeant à affronter une mer très serrée et plutôt rude.
Il m’aura donc fallu zigzaguer longtemps au près serré, qui plus est dans champ de mines truffé de casiers laissé par des pêcheurs comme des cailloux par le petit poucet. Dans cette configuration, vitesse du bateau et du vent s’additionnent, augmentant d’autant le vent apparent qui malmène les voiles pourtant réduites à leur maximum. Heureusement le soleil était de la partie. Pas un chat sur l’eau, à part moi. J’ai eu le plaisir de retrouver mes marques, le bonheur de naviguer, le plaisir de sentir Saudade II si vivant dans son élément.
L’important, c’était donc bien de couper le cordon, larguer les amarres. Après des jours à me sentir comme le comique Mr Bean au bord du plongeoir de 10 mètres « j’y vais, je n’y vais pas », j’ai enfin sauté dans le grand bain.
La Manche, le 24 mars 2024.