Les pavillons en berne

Une monstrueuse houle grise se jette sur la digue, défiant le ciel noir qui enrage. Plus au calme dans le port, la coque vert pomme et l’autre bleu clair de deux navires de pêche s’alignent aux pieds de l’hôtel de la Marine. Juste derrière, le canot de la SNSM se décline en orange vif et lumineux.
De la rive d’en face, les dunes ourlent le havre d’un sable clair que découvre tout en douceur la marée descendante. Vu de là, les trois bateaux arborent pourtant la couleur bien plus terne du deuil, pavillon en berne. Ils rappellent ce terrible accident survenu en mer la veille du réveillon, à quelques encablures d’ici. Les sauveteurs n’auront rien pu faire, sauf à ramener à terre le corps sans vie d’Alexandre. Plongeant dans l’effroi même ceux comme moi qui ne le connaissaient pas.
Debout dans le vent, une tristesse infinie m’empoigne. Le marin aura été happé par les flots dans la force de l’âge. Un pêcheur qui nourrissait les gens du fruit de son travail, de sa passion et de son courage.
Et je reste là, figée sur la berge, à regarder la mer autrement.
Havre de Carteret, décembre 2023.