Quatre heures de cirque

Avec les gros coefficients de marée, le port se mue en ascenseur monumental qui opère sur une hauteur de deux étages. Rez-de-chaussée à marée basse, soit trente petits centimètres au-dessus du point de référence le plus bas. La digue se dresse en rempart des déferlantes qui galopent au loin dans le goulet de Brest. Le port se tient abrité des vents d’ouest, sous les hauteurs de Camaret-sur-Mer et la pointe du Toulinguet.

Six heures plus tard, c’est une autre histoire. Les pontons sont montés au grenier, sept mètres plus haut. Plus rien n’est protégé : ni la jetée submergée par les vagues, ni le pourtour des quais livrés aux rafales. Les bateaux dansent la Saint-Guy.

On a l’impression d’avoir déménagé au cœur d’une gigantesque soufflerie. Les vents océaniques entrent en turbulence à la pointe du Grand Gouin, premier obstacle topographique dans leur cavalcade. Les basses fréquences en sons indistincts envahissent l’espace sonore, vibrations profondes et sourdes. Elles masquent les bruits environnants, hormis le couinement des amarres.

Le vent tourbillonne en gymkhana autour des coques et des bâtiments, produisant des moyennes fréquences qui s’imposent comme autant de secousses et grondements. À bord il est impossible de faire abstraction de ce bruit constant et rugueux.

Le gréement des voiliers ajoute une dimension supplémentaire au paysage sonore car il forme une sorte de hachoir géant. En soufflant au travers le vent crée tourbillons et vortex qui engendrent des fluctuations rapides de pression, produisant sifflements aigus et bruits de frottement plus localisés autour des mâts. Combinées avec les autres bruits, ces fréquences hautes et aiguës s’avèrent vite désagréables et irritantes.

La composition spectrale du bruit du vent violent se modifie drastiquement à pleine mer. Deux fois par jour, c’est le cirque deux heures avant et après l’étale. Ce qui est, somme toute, bien pratique, car on sait toujours où on en est des hauteurs d’eau. Même la nuit, pas besoin de consulter l’annuaire des marées.

 

Port de Camaret-sur-Mer, avril 2024.

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